Vous revenez en France pour les fêtes ou définitivement. Votre famille vous accueille avec ce sourire en coin : « Alors, comment ça va notre petit Londonien ? » Vos amis d’enfance plaisantent sur votre « accent anglais » quand vous commandez un café. Ils vous voient différent, transformé par vos années à l’étranger. Le problème ? Vous non plus, vous ne savez plus très bien qui vous êtes.
L’étiquette qu’on vous colle
« Le British », « la Berlinoise », « notre Américain »… Ces surnoms affectueux cachent une réalité plus complexe. Votre entourage a besoin de vous ranger dans une case, de comprendre votre transformation à travers le prisme de votre pays d’adoption. Pour eux, vous êtes devenu « un peu anglais » ou « complètement germanisé ».
Cette étiquetage, bien qu’innocent, crée un malentendu profond. Car au fond de vous, vous savez bien que vous n’êtes pas devenu britannique, allemand ou canadien. Vous n’avez jamais vraiment eu l’impression de faire partie de cette culture, malgré les années passées là-bas. Les locaux vous ont toujours perçu comme « le Français », et c’était très bien comme ça.
Alors que vous positionner maintenant ? Ni complètement français selon votre famille, ni vraiment étranger selon vos anciens voisins londoniens. Cette sensation d’être entre deux chaises peut devenir vertigineuse.
Le décalage imperceptible mais réel
Au début, c’est subtil. Un haussement d’épaules quand vos amis critiquent « ces Anglais » alors que vous pensez à votre ancienne collègue Sarah, si bienveillante. Un léger agacement quand on généralise sur « la mentalité allemande » alors que vous avez découvert la nuance et la diversité de ce pays.
Ces petits décalages s’accumulent. Lors des dîners en famille, vous vous surprenez à défendre des points de vue qui ne vous seraient jamais venus à l’esprit avant votre départ. Pas parce que vous êtes devenu « moins français », mais parce que votre regard s’est élargi, nuancé, complexifié.
Vos références culturelles ont évolué. Vous citez naturellement un humoriste britannique, vous comparez instinctivement les systèmes éducatifs, vous relativisez certaines « spécificités françaises » que vous pensiez universelles. Cette évolution, parfaitement normale, peut créer un sentiment de décalage avec votre environnement d’origine.
La nostalgie sélective de l’entre-deux
Et puis il y a cette nostalgie étrange qui vous prend. Pas exactement le mal du pays – vous n’idéalisez pas votre ancienne vie à l’étranger. Mais plutôt le regret de cette version de vous-même qui émergeait là-bas. Cette personne plus ouverte peut-être, ou plus aventureuse, ou simplement différente.
À Londres, vous étiez « Pierre, le Français marrant qui a toujours des anecdotes sur la bureaucratie française ». En rentrant, vous redevenez juste Pierre, avec vos anciens réflexes, vos anciennes habitudes. Comme si une partie de votre personnalité s’étiolait faute d’être nourrie par ce contexte particulier qui la révélait.
Cette sensation peut générer une mélancolie sourde. Vous vous demandez parfois si vous n’avez pas perdu quelque chose d’essentiel en rentrant. Ou si vous n’aviez pas tort de partir, finalement.
Les questionnements qui reviennent en boucle
« Ai-je fait le bon choix en partant ? » « Aurais-je dû rester plus longtemps ? »
« Est-ce que je me trahis en rentrant ? » « Qui suis-je vraiment maintenant ? »
Ces questions tournent en boucle, surtout les premiers mois du retour. Elles sont normales, même si elles déstabilisent. L’expatriation nous confronte à nos choix de façon très directe : pas de hasard géographique, pas d’évidence sociale. Tout devient décision consciente, et donc potentiellement remise en question.
Le plus troublant, c’est cette impression d’avoir découvert des facettes de vous-même que vous ne soupçonniez pas. Êtes-vous naturellement plus à l’aise dans la culture anglo-saxonne ? Votre personnalité s’épanouit-elle mieux dans l’anonymat d’une grande ville étrangère ? Ces révélations peuvent bousculer l’image que vous aviez de vous depuis toujours.
La naissance d’une troisième identité
Progressivement, vous réalisez que vous n’oscillez plus entre deux identités. Vous en avez construit une troisième, hybride, unique. Vous n’êtes plus exactement le François d’avant le départ, mais vous n’êtes pas non plus devenu un faux Britannique.
Vous êtes devenu un Français qui comprend intuitivement l’humour anglais. Un parisien qui relativise l’importance des grèves. Un provincial qui a appris à naviguer dans le métro londonien les yeux fermés. Cette version de vous porte la mémoire de vos deux vies, sans renier aucune des deux.
Cette identité composite peut sembler fragile au début. Elle ne correspond aux attentes d’aucun des deux camps. Vos amis français la trouvent « trop internationale », vos anciens collègues étrangers la jugeaient « trop française ». Mais c’est justement sa richesse : elle vous appartient entièrement.
Assumer sa complexité
Accepter cette complexité identitaire, c’est arrêter de chercher une cohérence parfaite qui n’existe pas. C’est revendiquer le droit d’être multiple, de porter plusieurs cultures sans en trahir aucune.
Vos années à l’étranger vous ont donné quelque chose d’irremplaçable : la capacité de prendre du recul sur votre propre culture, de la voir de l’extérieur, de l’apprécier autrement. Ce regard distancié n’est pas une trahison, c’est un enrichissement.
Quand vos amis vous appellent « le British », sourire et répondre : « Non, je suis juste un Français qui a vécu ailleurs. » Cette nuance fait toute la différence. Elle revendique votre parcours sans renier vos racines.
Les stratégies d’adaptation
Certains expatriés de retour développent des stratégies pour gérer cette multiplicité identitaire :
Cultiver des amitiés diverses : Garder contact avec d’anciens expatriés, nouer des liens avec des étrangers vivant en France, maintenir des amitiés internationales. Ces relations comprennent naturellement votre complexité.
Créer des espaces hybrides : Organiser des soirées « fish & chips » chez vous, maintenir certaines traditions découvertes à l’étranger, mélanger les cultures dans votre quotidien sans forcer.
Raconter autrement : Plutôt que de ressasser vos anecdotes d’expatrié, partager ce que cette expérience a changé dans votre façon de voir les choses. C’est moins exotique, mais plus authentique.
Accepter les phases : Il y aura des moments où vous regretterez amèrement d’être rentré, d’autres où vous bénirez ce retour. Ces oscillations sont normales et temporaires.
L’enrichissement discret mais profond
Avec le recul, beaucoup d’anciens expatriés réalisent que cette complexité identitaire est devenue leur force. Ils naviguent plus facilement entre les cultures, comprennent mieux les enjeux internationaux, relativisent les conflits locaux.
Professionnellement, cette capacité d’adaptation et cette ouverture d’esprit se révèlent souvent précieuses. Personnellement, elle offre une liberté nouvelle : celle de ne plus se sentir prisonnier d’une seule façon d’être au monde.
Cette troisième identité, ni tout à fait française ni étrangère, finit par devenir une seconde nature. Elle ne disparaît plus, même des années après le retour. Elle devient cette petite voix intérieure qui murmure « et si on voyait les choses autrement ? » dans les moments de certitudes trop rapides.
La réconciliation avec soi-même
Au final, ce questionnement identitaire post-expatriation, même douloureux, est un cadeau. Il force à se redéfinir consciemment, à assumer ses contradictions, à accepter sa singularité.
Vous n’êtes plus « juste » français parce que vous ne l’avez jamais été vraiment. Vous étiez déjà unique avant de partir, l’expatriation n’a fait que révéler et enrichir cette singularité. Votre identité n’est pas binaire, elle est kaléidoscopique.
Et quand votre oncle vous lance encore « Alors, notre petit Londonien ? », vous pouvez enfin répondre avec sérénité : « Non, je suis juste moi. En plus complexe qu’avant, et c’est tant mieux. »
Cette recherche d’identité ne se termine jamais vraiment. Elle évolue, se nuance, s’enrichit. Certains anciens expatriés repartent, d’autres restent mais voyagent différemment, d’autres encore deviennent des ponts entre les cultures. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise voie, seulement des parcours authentiques.
Dans nos prochains podcasts, nous donnerons la parole à ces « citoyens du monde malgré eux », ces Français qui ont découvert que l’identité n’était pas une destination, mais un voyage permanent.